Des investissements brassicoles témoins
de l’histoire tourmentée du Nord-Pas-de-Calais
C’est dans l’ancien comté du Hainaut, au cœur du pays d’Ostrevant que les brasseries de campagne prennent leur origine. Sur cette terre d’élevage et de céréales, se dressent encore aujourd’hui les “censes”, pittoresques fermes carrées, au porche surmonté d’un colombier. Elles sont le temoin d’une tradition de travail et de partage liée à une histoire récente.
Au XIXe siècle, la diffusion de la machine à vapeur dans les campagnes du pays d’Ostrevant favorise l’émergence des fermes brasseries et l’élaboration d’une technique brassicole qui reçoit une récompense en 1868 à l’exposition d’Arras.
Les fermiers brasseurs régionaux développent à cette époque une savoureuse boisson. Parmi ceux-là, Isly Dubois, tonnelier de son état, fonde en 1885 la brasserie Dubois-Lecocq à Hordain. Dix ans plus tard, au village d’Iwuy à trois kilomètres d’Hordain, Jules Dhaussy aménage une modeste brasserie dans un corps de ferme et devient fermier brasseur.
En 1900, la région de Valenciennes compte plus de 300 brasseries !
Dans les années 1890, comme toutes les brasseries régionales, les fermes brasseries sont généralement dotées d’un matériel assez simple : deux chaudières à feu direct d’une capacité de 40 hl, une petite cuve filtre, des fûts de bois qui servent à la fermentation et à l’expédition de la bière.
Mais le vingtième siècle engendre de nombreuses transformations pour les brasseries du Nord-Pas-de-Calais.
Les destructions des deux guerres mondiales :
Entre 1914 et 1918, les brasseurs régionaux assistent impuissants à la destruction de leurs bâtiments de production et à la réquisition de leurs matériels par l’occupant. Malgré des séquelles particulièrement importantes dans le Nord-Pas-de-Calais, les brasseries régionales relancent la fabrication de la bière dès la signature de l’Armistice. À Hordain, Louis Lecerf (1878-1941), gendre du fondateur reprend l’entreprise artisanale, rebaptisée brasserie Lecerf-Dubois tandis qu’à Iwuy, Jules Dhaussy transmet le flambeau à son fils Alphonse.
Les “dommages de guerre” permettent aux brasseurs de moderniser leur outil de production. Le réfrigérant Baudelot remplace le plat-bac pour refroidir la bière. Les machines à glace facilitent le travail pendant la saison chaude. Les cuves en acier émaillé succèdent aux foudres en bois. La filtration sur masse fait son apparition ainsi que la mise en bouteille. Les brasseries s’équipent de laveuses de bouteilles et de soutireuses isobarométriques qui gardent le gaz carbonique (CO2) dans la bière.
Une nouvelle fois cependant, le monde de la brasserie se voit arrêté dans son développement. Ainsi, la Seconde Guerre mondiale sera fatale à de nombreuses brasseries régionales. Beaucoup fermeront leurs portes.
La concentration économique de l’après-guerre :
En 1951, Alphonse Dhaussy a 59 ans et des problèmes de santé, conséquence des années passées dans les tranchées lors de la Première Guerre mondiale et des longues privations sous l’occupation pendant la Seconde. Pourtant, il doit engager de lourds investissements, s’il veut adapter la brasserie aux nouveaux enjeux économiques. Il préfère s’arrêter et se consacre désormais à l’exploitation de sa ferme avec l’aide de Jules, son plus jeune fils. Quant’à Alphonse, l’aîné des fils, il continue le commerce de la bière et s’installe entrepositaire des bières Baré de Valenciennes.
Entre-temps, Henri Bourgeois (1907-1972), gendre de Louis Lecerf, est devenu le nouveau maître brasseur de la brasserie d’Hordain qu’il dénomme brasserie Bourgeois-Lecerf. Il ne peut se résoudre à abandonner et décide d’améliorer son outil de production pour lutter contre la concurrence de plus en plus forte des brasseries industrielles.
En 1954, le nouvel entrepreneur de la brasserie Bourgeois-Lecerf modernise la salle de brassage, équipe la fermentation de quatre cuves cylindro-coniques et rénove complètement l’embouteillage.
En 1955, l’entreprise rivalise avec les brasseries industrielles de l’époque tout en préservant son caractère artisanal. La Burgesbier (bière des bourgeois) et la Bock des bourgeois, très appréciées par la population locale, sont livrées chez les particuliers et les débitants de boissons dans un rayon d’une quinzaine de kilomètres autour de la brasserie.
En 1972, Henri Bourgeois décède. Sa succession s’avère particulièrement difficile et ses héritiers décident alors de vendre. En 1977, Alphonse Dhaussy rachète la brasserie Bourgeois-Lecerf. Il redécouvre la profession de brasseur… le métier de son père et de son grand-père. Ainsi, offre-il à son fils Alain la possibilité de renouer avec la tradition familiale.